La genèse de la conquête spatiale fut une guerre acharnée entre l'URSS et les USA sur fond de guerre froide. Une course effrénée entre les 2 blocs, voire même un moyen pour les USA de ruiner l'économie Soviétique.
Cela a d'ailleurs parfaitement fonctionné, les magnifiques navette spatiales made in URSS « Bourane » n'ont jamais volé et sont aujourd'hui en train de rouiller dans des hangars en ruine en république du Kazakhstan !
Chacun des deux blocs redoutait que l'autre profite de sa supériorité technologique pour, au mieux, espionner (satellites) ou au pire, anéantir (bombe nucléaire lancée depuis un lanceur balistique intercontinental).
Il faut dire que la genèse des moteurs fusée remonte à la 2ème guerre mondiale et ses funestes V2 mis au point par l'Allemand Wernher Von Braun.
Après la guerre, les USA offrent à Wernher la nationalité Américaine et leur protection, en échange de son ingénierie sans équivalent sur les moteurs fusée. Les travaux de Wernher, après de multiples échecs et explosions diverses, débouchent sur le développement des programmes Mercury, Gemini puis du lanceur Saturn V, qui sera la pierre angulaire du programme Apollo, offrant aux USA la primeur du premier pas de l'homme sur la lune.
A l'Est, la matière grise responsable de l'avenir spatial se nomme Sergueï korolev. Il porte et assume seul, à bout de bras, grâce à son génie visionnaire et à son caractère, toute la recherche spatiale Soviétique. Ses talents sont l'élément clef dans le plan spatial de Staline.
Après avoir copié puis amélioré le missile V2, son équipe développe plusieurs missiles aux capacités croissantes et en 1953, les dirigeants Soviétiques lui donnent le feu vert pour la mise au point d'un missile balistique intercontinental porteur d'une tête nucléaire. Ce missile vole en 1957, suivi de peu par le célèbre premier satellite artificiel de l'histoire : Spoutnik.
Sergueï parvient à convaincre ses donneurs d'ordres militaires de l'intérêt d'une mission spatiale habitée, qui débouchera sur le vol historique de Yuri Gagarine en 1961. Ce succès consacre le triomphe de Korolev .
Mais, contrairement à ce qui se passe aux USA, il n'existe pas en URSS d'instance de pilotage de programme spatial.
Sergueï peine à imposer ses projets face aux militaires. Les dirigeants décident trop tardivement en 1964 de relever le défi Apollo et demandent à Korolev de battre les Américains. Mais le retard qui s'est creusé est irrattrapable. Épuisé d'avoir porté le programme Soviétique seul et contre tous, Sergueï Korolev décède en 1966 à 59 ans.
De leur côté, les USA se sont organisés : ils ont créé une instance pour coordonner leur programme spatial : la Naca (National Advidasory Committee for Aeronautics), qui deviendra la NASA (National Aeronautics and Space Administration) en 1958.
Il s'agit d'une organisation pyramidale tentaculaire : un budget voté par le gouvernement, des bureaux d'étude, des usines réparties dans tous les états et des sous-traitants. Chacun a sa "petite" mission qu'il doit mener dans son coin. Alors qu'à l'Est, tout repose sur les épaules d'un seul homme-orchestre. Si ce process a donné raison aux USA pour le programme Apollo, on va voir que la chance va bientôt tourner.
Après avoir frôlé la catastrophe avec Apollo 13 (voir le film), le responsable de la NASA, démissionnaire, annonce en 1970 l'annulation des missions Apollo 18, 19 & 20.
Avec les restrictions budgétaires qui en découlent, la NASA, pour éviter de se séparer de ses 50.000 employés et 190.000 sous-traitants, tente de rattraper le coup en lançant l'idée, complètement novatrice à l'époque, de la réutilisation avec le programme des navettes spatiales.
L'URSS, devenue Russie, est quasi absente de toute innovation spatiale depuis, mais exploite néanmoins avec un succès incontesté son lanceur Soyuz et son vaisseau Soyuz (oui, ils portent le même nom, c'est ballot) depuis les années 60. (success story absolue : plus de 1000 vols réussis).
Selon le concept Russe, on ne change pas ce qui marche bien. Rusticité étant gage de fiabilité.
C'est à partir de là que les USA et la NASA vont peu à peu perdre pied et se faire rattraper par le secteur privé.
Pour bien comprendre, je suis obligé de parler un peu de technique. Pour créer une poussée, un moteur fusée doit emporter son carburant (comme l'essence de votre voiture) mais aussi son comburant (comme l'oxygène dans lequel se déplace votre voiture [il n'y a pas d'oxygène dans l'espace]). Le comburant est souvent de l'oxygène liquide (refroidi à basse température) mais le carburant peut être soit un ergol (souvent un kérosène dérivé du gas-oil) ou bien une poudre (comme de la poudre à canon).
La différence est fondamentale, car si l'on peut moduler la puissance d'un moteur alimenté par un ergol, voire le stopper et le redémarrer en vol, il est impossible de faire quoique ce soit sur un lanceur à poudre : une fois qu'il est allumé, il faut attendre que toute la poudre soit consommée pour qu'il s'éteigne de lui-même. Impossible de moduler sa puissance ni de le stopper.
Si vous regardez une navette spatiale sur son pas de tir, vous pouvez observer un gros réservoir central orange (l'oxygène liquide) et 2 boosters latéraux (la poudre). Plusieurs ingénieurs qui travaillaient sur les boosters en sous-traitance, bien loin de la NASA, s'arrachaient les cheveux : ils savaient que les contraintes de pression et de température étaient telles qu'on allait forcément au devant d'une fuite qui, si elle s'avérait, serait catastrophique.
En 1986, la nuit précédant le décollage de la navette Challenger est particulièrement glaciale. Les joints toriques faisant la liaison entre les boosters latéraux et le réservoir central se sont durcis et rétractés à cause du froid. 72 secondes après le décollage, la fuite causée par le retrait des joints provoque une explosion fatale. L'équipage de 7 astronautes (dont une civile, institutrice) ne décède pas des suites de l'explosion (ils ont le temps d'actionner une bouteille d'oxygène de secours), leur mort sera vraisemblablement causée par l'impact de la capsule avec l'océan 2 mn après l'explosion...
Voilà, on est au cœur du problème : dans un système NASA / ESA, si un ingénieur veut apporter une amélioration à un système, il faut qu'il en parle à son supérieur, qui rédige un rapport qui est transmis à la hiérarchie, qui va contacter la sous-traitance qui est répartie dans plusieurs États, voire plusieurs pays, on va perdre un temps fou... etc... ou finalement laisser courir. Tracasseries administratives et politiques.
Chez SpaceX, TOUS les employés, ingénieurs et ouvriers, travaillant à l'assemblage des lanceurs travaillent sous le même toit !
Un ingénieur qui veut modifier un boulon sur un module va juste aller voir son collègue qui travaille à 50 m de lui et lui faire part de son idée. Ils en parleront à Elon Musk dans la journée et le boulon sera modifié dès le lendemain. Fin du problème, on passe à la suite.
Simple et efficace.
C'est hélas ce qui va précipiter à sa perte, à mon sens (Comme j'aimerai me tromper !) l'industrie spatiale Européenne.
ArianeEspace et l'ESA, c'est 13 pays financeurs et des "morceaux" d'Ariane fabriqués dans plusieurs de ces pays. On reproduit ici avec soin les failles du système NASA ayant conduit à l'explosion en vol de la navette Challenger.
Pire, là ou SpaceX exploite déjà avec un franc succès un lanceur réutilisable (Falcon 9) et travaille sur un autre projet encore plus ambitieux (Starship), lui aussi entièrement réutilisable, Ariane 6 (premier vol en 2024) n'est qu'une timide évolution incrémentale d'Ariane 5. Et toujours pas réutilisable ! Un projet d'Ariane réutilisable (Ariane Next) est dans les cartons, pour … 2030 ! Il sera beaucoup trop tard.
Stéphane Israël, patron d’ ArianeEspace, appelle à un "Big bang" de la gouvernance des lanceurs européens, recentré autour des trois nations les plus contributrices : la France, l’Allemagne et l’Italie. La Commission Européenne milite également pour une rationalisation. Le système NASA / ESA (ne parlons plus de Roscosmos, exsangue) fonctionne selon un principe éculé où se sont les politiques qui arbitrent des choix technologiques en lieu et place des ingénieurs, pour gérer les emplois. Sur le papier c'est logique : je veux bien que mes ressortissants paient des impôts pour le spatial, mais en échange il me faut des emplois. En vrai c'est un cauchemar : un changement de technologie est synonyme de pertes d'emploi. Sans parler des changements de présidents (de nations) qui pèsent sur le devenir des projets spatiaux car bien souvent se mènent sur 10 ou 20 ans, le temps de changer plusieurs fois de présidence.
Si on reprend l'exemple (parmi tant d'autres) des lanceurs à poudre, tous les experts aujourd'hui s'accordent pour abandonner cette propulsion. Mais certains politiques s'inquiètent, notamment la France et l'Italie, car cela fragiliserait leurs sites de construction liés au secteur spatial, et donc des emplois et par ricochets, leur économie...
Vous trouvez que le tableau est noir pour l'Europe ? J'ai pas fini : le newspace explose. Derrière la locomotive SpaceX se cachent de jeunes pousses : Virgin Galactic, Blue Origin, ULA (United Launch Alliance) qui comme son nom l'indique est une alliance entre Boeing et Lockheed Martin, Rocketlab (Nouvelle Zélande) et son petit lanceur Electron pour ne citer que les plus gros poissons. Sans parler de la Chine très discrète et de l'Inde (oui oui) qui jouent les outsiders.
Je suis peut-être pessimiste, mais les chiffres sont là :
Nombre de lancements par pays :
| 2020 | 2021 | 2022 | 2023 |
USA | 44 | 51 | 78 | 116 |
SpaceX | 25 | 31 | 61 | 95 |
Chine | 39 | 56 | 64 | 67 |
Russie | 17 | 25 | 22 | 19 |
Europe | 5 | 6 | 5 | 3 |
Japon | 4 | 3 | 1 | 3 |
Inde | 2 | 2 | 5 | 7 |
Total | 114 | 145 | 186 | 211 |
62% des lancements Américains sont opérés par SpaceX (mais 75% de la masse mise en orbite) et près de deux lancements par semaine en 2023 !
Salaire annuel moyen d'un ingénieur sorti d'école :
Chez Ariane Espace entre 30 et 50 k€, chez SpaceX entre 60 et 80 k€.
Michel Havez, 21 Août 2022.
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