Tout le monde connait Youri Gagarine et la raison pour laquelle il est connu. Et la plupart d'entre-nous pense que ce fut une mission facile et totalement couronnée de succès.
En fait, c'est un peu plus compliqué que ça...
On a déjà parlé ici des débuts de l'aire spatiale et de la compétition effrénée entre les deux blocs, celui de l'Est et celui de l'Ouest. Donc, si vous ignorez qui est Sergeï Korolev, dont on parlera largement aujourd'hui, je vous invite à lire les politiques spatiales.
Youri nait en Mars 1934, de parents modestes qui œuvrent dans un kolkhose dans l'Ouest de l'URSS. La vie n'est pas facile, le village est dépourvu d'électricité et d'eau courante...
Pendant la deuxième guerre mondiale, la famille Gagarine subit la brutalité des nazis, son jeune frère est sauvé de justesse de la pendaison, sa sœur est blessée par un Allemand et son père deviendra invalide après voir été battu à mort. Les membres de la famille sont séparés par l'occupant, les parents n'auront la confirmation que leurs enfants sont saufs qu'à la fin de la guerre.
Un événement va jouer un rôle important dans la vie de Youri : il est témoin de l'atterrissage forcé d'un chasseur Soviétique, son pilote étant récupéré par un autre avion. Les enfants du village assistent au spectacle, Youri est fasciné, l'un des pilotes prendra le temps de lui montrer le fonctionnement des commandes de vol.
Youri reprend sa scolarité à l'issue de la guerre, il se révèle turbulent et rentre en conflit avec son père, qui désire que ses fils deviennent, comme lui, charpentier. En 1949, Youri quitte sa famille pour poursuivre ses études à Moscou, contre l'avis de son père.
Youri veut devenir gymnaste, mais ne trouvant pas de formation, c'est vers des études de fonderie qu'il se dirige. Quatre années durant, il recevra une formation de technicien dans le machinisme agricole.
C'est durant ces 4 années qu'il débutera ses cours de pilotage sur Yak-18. Dès son premier vol, il le sait : il sera aviateur !
En 1955, il met un terme à ses études de technicien et entre dans une école de pilotage militaire. Toujours contre l'avis de son père. Mais l'instructeur est impressionné par les capacités de Youri et le recommande pour une école de pilotage supérieure à Orenbourg. C'est là qu'il rencontrera Valentina qui deviendra sa femme en 1957, juste avant d'obtenir son diplôme de pilote de chasse sur Mig-15. Il est alors affecté dans une escadrille à Mourmansk (au Nord du cercle Arctique). Sa femme lui donnera 2 filles, la première en 1959 et la seconde en 1961, 36 jours avant le vol historique !
Pendant ce temps, le programme spatial Soviétique est échafaudé. Le recrutement des premiers cosmonautes s'opère parmi les pilotes de chasse de l'armée de l'air. Les candidats doivent être jeunes, pas trop grands et ne pas peser plus de 70 kg (l'espace est restreint à bord de la capsule Vostok). Youri, 1,58 m, est sélectionné parmi 3000 candidats. Il n'a alors que 250 heures de vol à son actif !
Il n'a pas été choisi au hasard : il a une mémoire fantastique, des réactions rapides, une perception aiguë de son environnement, persévérant, il excelle en mathématiques et a du caractère : il n'hésite pas à défendre son opinion devant des supérieurs s'il estime avoir raison.
Sa formation de cosmonaute débute en Mai 1960 : sauts en parachute, centrifugeuse, fonctionnement des fusées... Il est remarqué par Sergeï Korolev, le responsable du programme spatial habité.
Le vol de Youri est précédé de 5 vols sans équipage. Un seul de ces 5 vols est un succès complet. 2 vols supplémentaires auront lieu, avec un chien, des souris, un reptile et un mannequin. Ces 2 vols sont des succès complets. La date du premier vol habité est fixée de façon à griller la politesse aux Américains, qui sont sur le point d'envoyer John Glenn dans l'espace !
Deux jours avant son vol, Youri écrit une lettre à sa femme. Il sait que ses chances de succès ne dépassent pas 50 %. Plusieurs protocoles de secours sont prévus afin de parer aux éventualités : panne du système d'atterrissage, procédures en cas d'atterrissage dans un pays étranger, des provisions pour 13 jours et une balise de détresse pour localiser la capsule au sol. Contrairement aux précédentes missions, il n'y aura pas de système d'autodestruction pour empêcher un pays rival de s'emparer de la technologie embarquée. Cette décision est prise à l'unanimité, à l'exception du membre du KGB !
Dans la nuit du 11 au 12 Avril 1961, Sergeï Korolev n'a pas fermé l’œil de la nuit. Il craint une défaillance du 3ème étage du lanceur, qui précipiterait le vaisseau Vostok dans les eaux glacées du Cap Horn... Youri, lui, a dormi comme un bébé. Il est réveillé à 05H30, prend un petit déjeuner, on l'aide à enfiler sa combinaison de vol. Respectant une superstition chez les pilotes soviétiques, il ne se rase pas. Korolev vient embrasser Youri qui est d'humeur à plaisanter, et tente de rassurer Sergeï.
Le vol étant entièrement automatique, les commandes de vol sont bloquées. En cas de problème, Youri doit ouvrir une enveloppe qui contient un code, permettant de libérer les commandes. Cette procédure est violée par Sergeï Korolev lui-même qui chuchote le code dans le creux de l'oreille de Youri, ainsi que plusieurs techniciens.
Tandis que Youri est enfermé dans son vaisseau Vostok, Korolev s'installe dans le bunker de commandement depuis lequel il est en liaison radio avec Youri. Sergeï fait ses calculs, le taux de succès n'est que de 50 % sur seize lancements. Il reprend une dose de tranquillisants.
Contrairement aux États-Unis, il n'y a pas de compte à rebours sur les lanceurs Soviétiques. Il est 09H07 heure de Moscou lorsque la mise à feu déclenche le décollage, le pouls de Youri passe soudainement de 64 à 157, mais il s'exclame joyeusement : « Et c'est partiii ». Il signale ressentir une accélération croissante, mais ne pas en souffrir. Sergeï lui demande comment il va, Youri répond malicieusement : « bien, et vous ? ».
La télémétrie indiquant une trajectoire alarmante donne des sueurs froides aux responsables après la mise à feu du 3ème étage mais le vol se poursuit. La coiffe aérodynamique qui recouvre le vaisseau est larguée, Youri découvre le paysage qui s'offre à ses yeux à travers le hublot. Il s'exclame : « je vois les nuages et le site d'atterrissage, c'est magnifique, quelle beauté ! ».
11 minutes après le lancement, le vaisseau s'insère sur son orbite qui va durer 01H38 à une altitude moyenne de 250 km. L'orbite est plus haute de 70 km que prévue, faisant craindre des complications lors de la mise à feu des rétrofusées prévues pour freiner le vaisseau avant sa rentrée atmosphérique.
Youri est ému par la beauté de la terre, son atmosphère si ténue. Il devient le premier homme à expérimenter l'impesanteur, il constate qu'il peut boire, manger, travailler normalement. N'ayant aucune mission ou expérience à réaliser, il contemple la terre qui défile sous ses yeux et surveille les instruments de bord. Tout se déroule normalement. A ce stade, le vol est encore secret, mais l'agence TASS intercepte des communications radio et fait fuiter la mission. La mère de Youri apprend la nouvelle par la radio, se met à pleurer, répétant : « mais qu'est-ce qu'il a fait ? Où est-il allé ? ».
A l'issue de l'orbite complète, les rétrofusées sont activées pour freiner le vaisseau et déclencher la rentrée atmosphérique. Mais une secousse brutale secoue le vaisseau qui se met à tourner sur son axe de 30° par seconde (soit un tour complet en 12 secondes). Youri témoigne : « Tout tourne, je vois l'Afrique, puis l'horizon, puis le ciel. ». Les charges pyrotechniques qui devaient séparer le module de commande (où se trouve Youri) du module de service n'ont pas fonctionné comme prévu, les 2 parties sont bien séparées mais sont toujours rattachées par quelques câbles. De fait, le vaisseau ne présente pas son bouclier thermique vers l'avant, et est soumis à un échauffement important. Youri décrit cette phase de descente : « le vaisseau est entouré de flammes, je suis un nuage de feu qui fonce vers la terre ». La situation est critique, Youri en a conscience, mais il conserve son calme, il annonce au sol que tout va bien ! Finalement, la pression aérodynamique et les hautes températures viennent à bout des câbles, les 2 parties du vaisseau se séparant enfin.
Youri est secoué pendant la descente et il décrit qu'une lumière violette (du plasma) entoure la capsule. La décélération atteint son pic à 10 G, sa vue se brouille mais la capsule ralenti sa rotation. Respectant la procédure, Youri s'éjecte, effectuant les derniers km de sa descente sous parachute. Il largue le siège qui s'est éjecté avec lui et reconnaît instantanément le paysage qui défile sous ses pieds : il survole la Volga, là où il a effectué ses entrainements de parachutiste ! Son parachute de secours s'ouvre (en plus du principal) de manière inopinée, sans pour autant menacer la descente. Se sentant en sécurité, il se met à chanter juste avant de poser le pied sur la terre ferme.
Il est 10H55 heure de Moscou, l'ensemble de son vol a duré 108 mn, dont 89 en orbite.
Il savoure. Il met 6 minutes avant d'ouvrir la valve d'air de son scaphandre, respirant enfin l'air de la terre. Il faut qu'il signale qu'il est sain et sauf mais il n'y a personne pour l’accueillir, il s'est posé à… 400 km du point d'atterrissage attendu !
Khrouchtchev harcèle Korolev au téléphone pour lui demander si Gagarine est vivant.
Deux écolières sont témoin de l'atterrissage. Une vieille paysanne et sa petite fille voient arriver un curieux personnage vêtu d'une combinaison orange brillante avec un grand casque. Elles commencent à s'enfuir mais Youri les rassure : « N'ayez pas peur, je suis Soviétique comme vous, je reviens de l'espace et je dois trouver un téléphone pour appeler Moscou ! ». La Babouchka l'emmène au kolkhose voisin, Youri met fin au suspense. Les enfants du village sont déjà dans le vaisseau, se partageant les restes de nourriture en tube.
Youri Gagarine est reçu triomphalement à Moscou, il entame une tournée mondiale à des fins de propagande politique. Il est nommé responsable de l'entrainement des cosmonautes, participe aux prise de décision des vols suivants, et assure une partie des communications radio. Néanmoins, sa notoriété naissante de superstar lui monte à la tête, il est régulièrement alcoolisé et abuse de la gente féminine. Un soir, il se blesse sérieusement à la tête, se jetant du 1er étage pour échapper à sa femme sur le point de le trouver en galante compagnie.
En 1963 il est nommé directeur adjoint du centre d'entrainement des cosmonautes, avec le grade de Colonel de l'armée de l'air soviétique.
A partir de 1966, il est impliqué dans l'étude de prototypes spatiaux. Il aime rouler vite, il échappe miraculeusement à plusieurs accidents graves (plus de 20 accidents de voiture en moins de 7 ans). Son addiction à la boisson et aux jolies filles transforment progressivement sa belle image publique et efface son sourire légendaire.
Ses vols en avion de chasse se sont fait de plus en plus rare (et toujours accompagné, plus jamais en solo), mais il désire reprendre les vols en solo. Il enchaine donc les vols d'entrainement.
Le 27 Mars 1968 à 10H00, il décolle à bord d'un MIG-15, accompagné d'un instructeur aux références irréprochables. Quelques minutes après le décollage, Youri demande par radio aux contrôleurs la permission de modifier le plan de vol et de rentrer à la base. Ce sera sa dernière communication. L'alerte est déclenchée, les hélicoptères repèrent l'épave à 64 km de la base aérienne dans une zone boisée. L'appareil a creusé un cratère de 6 à 7 m de diamètre, laissant supposer une vitesse d'impact comprise entre 700 et 800 km/h.
Une première thèse avance que, victime d'une défaillance de son appareil, Youri ne se serait pas éjecté pour éviter que le MIG ne s'écrase sur une école. Cette information se révèle rapidement fausse, la cause la plus probable étant une manœuvre brusque pour éviter un ballon sonde. Mais une dernière possibilité apparaît en 1998, 20 ans après les faits, suite à la déclassification des informations : 3 autres MIG étaient autorisés à voler dans la région du crash. L'un d'eux serait passé devant l'appareil de Youri (la couverture nuageuse empêchait tout contact visuel) et aurait entrainé Youri dans une turbulence de sillage, déclenchant une vrille. Youri et son coéquipier se seraient sorti de la vrille, mais à 450 m sol et 800 km/h ils n'auraient pas eu le temps de s'éjecter.
Youri Gagarine et son instructeur sont tous deux inhumés dans le mur du Kremlin. La perte de 2 cosmonautes en deux ans entraine d'importants changements dans les procédures de sécurité des vols.
Youri Gagarine est devenu un puissant instrument de propagande. La mission étant restée secrète jusqu'à sa réussite, l'onde de choc mondiale n'en fut que plus forte, notamment pour les Américains qui concouraient à la course du premier homme dans l'espace. La propagande exploite à fond les origines modestes de Youri, le Kremlin allant jusqu'à demander à ses parents de s'habiller simplement, pour accentuer l'idéal Soviétique : de charpentier à astronaute.
La tournée mondiale qui a lieu entre la construction du mur de Berlin et la crise des missiles de Cuba est un des rares moments de détente alors que l'on est en pleine guerre froide.
Michel HAVEZ, Avril 2022.
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