L'homme qui a déterminé la distance Terre > Lune.
- Michel Havez

 - il y a 10 heures
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Si je vous demande de mesurer la distance Terre > Lune, vous allez me dire que vous en êtes bien incapable et qu'il vous faut des instruments. Et vous aurez parfaitement raison. Pourtant, le premier homme à s'approcher très près de la bonne valeur l'a fait vers... 250 avant notre ère !
On est donc en Grèce Antique à une époque contemporaine d'Archimède.
Le plus ancien document écrit décrivant des mesures et des distances de la terre, de la lune et du soleil est alors signé Aristarque de Samos. (environ 310 > 230 avant JC).

Comme beaucoup d'intellectuels de cette époque, Aristarque est à la fois mathématicien, philosophe et astronome. En plus de s'intéresser aux mesures de distances précitées, il est l'un des premiers à douter du géocentrisme (le soleil tourne autour de la terre).
De ses propres observations, il conclue que le soleil et les étoiles sont fixes, la terre tourne sur elle-même en une journée tout en décrivant un cercle autour du soleil en une année : l'héliocentrisme.
Cette idée va à contre courant des astronomes de l'époque, mais comme la religion n'a pas encore été inventée, donc aucune crainte de finir au bûcher comme Giordano Bruno.
Dans ces temps anciens, être astronome signifiait observer le ciel à l’œil nu et être capable de réfléchir. Intensément. Étant totalement démuni d'instruments, Aristarque va donc s'atteler à la tache en utilisant son cerveau, les mathématiques et les éclipses totales lunaires.

Lors d'une éclipse totale lunaire, la lune passe brièvement (environ 3 heures) dans l'ombre de la terre. L'ombre de la terre forme un léger cône, mais Aristarque considère l'ombre comme étant cylindrique pour simplifier (de toutes façons on ne connait pas encore ni la distance terre - soleil ni le diamètre solaire, donc impossible de modéliser le cône).

Sur cette infographie les échelles ne sont pas respectées, le cône s'en trouve très accentué. Dans les faits il est presque cylindrique.
Pour déterminer la distance Terre > Lune, Aristarque (mathématicien) pose :
Vitesse = distance / durée.
Comme la distance est une circonférence,
il pose Vitesse = 2 π / durée.
Ou Distance D = vitesse * durée / 2 π.
Pour la durée c'est facile : une lunaison, donc environ 27 jours.
Reste à mesurer la vitesse de la lune qui tourne autour de la terre. Là, c'est chaud. C'est là qu'intervient l'éclipse.

Il va commencer par mesurer la durée de l'occultation de la lune lorsqu’elle passe dans le cône d'ombre de la terre.
On l'a vu un peu plus haut, c'est à peu près 3 heures.
Pour mesurer la vitesse, il a besoin de connaitre la distance parcourue pendant l'occultation.
Comme il considère que l'ombre est cylindrique, il en déduit que le diamètre de l'ombre est égal au diamètre de la terre.
Là Aristarque a du bol : Ératosthène vient tout juste de calculer le diamètre de la terre : 13.000 km, je vous renvoie à cette histoire incroyable ici.
13.000 km de diamètre divisé en 3 heures, ça donne à peu près 4.000 km/h.
On est bon, on a tout ce qu'il nous faut, on pose :
vitesse 4000 km/h * durée 27 jours (650 heures) / 2 π.
4000 * 650 = 2.600.000 / 2 π = 414.000 km !
Bien sûr ces chiffres sont approximatifs, mais on colle parfaitement avec les ordres de grandeur : la distance terre lune varie de 356.000 à 405.000 km, soit une distance moyenne de 384.000 km. Moins de 8% d'erreur !
3 erreurs viennent entacher les calculs d'Aristarque :
le diamètre terrestre calculé par Ératosthène est de 39.000 km au lieu de 40.000,
d'autre part le nombre π est encore approximatif,
enfin l'ombre est conique et non cylindrique.
Après cet exploit Aristarque s'attaquera à la mesure de la distance terre > soleil, cette fois avec peu de succès : il se trompe d'un facteur 20 !
Mais à la lumière de ses calculs et observations, il commence à douter de la théorie du géocentrisme : il lui semble bien plus logique que les planètes plus petites tournent autour des planètes plus grandes. Il place donc le Soleil au centre de l'Univers et décrit le mouvement de la Terre comme une rotation sur elle-même combinée avec un mouvement circulaire autour du Soleil.
Si Aristarque n'en fait pas mention dans ses écrits, c'est Archimède qui en parle le mieux :
Archimède, préface du traité L’Arénaire :
Vous n'êtes pas sans savoir que par l'Univers, la plupart des Astronomes signifient une sphère ayant son centre au centre de la Terre (…).
Toutefois, Aristarque de Samos a publié des écrits sur les hypothèses astronomiques.
Les présuppositions qu'on trouve dans ses écrits suggèrent un univers beaucoup plus grand que celui mentionné plus haut. Il commence en fait avec l'hypothèse que les étoiles fixes et le Soleil sont immobiles.
Quant à la Terre, elle se déplace autour du Soleil sur la circonférence d'un cercle ayant son centre dans le Soleil.
Pour être tout à fait honnête, je dois ajouter qu'Hipparque, un autre astronome, géographe et mathématicien de la Grèce antique (190 à 120 avant JC) a pu affiner les calculs d'Aristarque, en calculant la distance terre > lune à une fourchette comprise entre 62 à 77 rayons terrestres. (La vraie mesure est d'environ 60).
Par contre, tout comme Aristarque, il s'est complètement planté dans l'évaluation de la distance terre > soleil.
Michel Havez, Octobre 2025.



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