Le précurseur :
Le plus connu des télescopes spatiaux, Hubble, a été mis en fonction en 1990. Soit 31 ans de bons et loyaux services.
S'il a pu bénéficier de mises à jour, réparations et entretien à plusieurs reprises par le biais des navettes spatiales, Hubble est livré à lui même depuis l'arrêt du programme des navettes en 2009, hormis les opérations de mise à jour logicielle qui peuvent être pilotées depuis le sol.
Néanmoins, les pannes matérielles ne peuvent plus être réparées et les jours d'Hubble sont désormais comptés. Jusqu'à quand ? Disons tant que la team au sol sera capable de maintenir le bon fonctionnement. La prochaine panne majeure signera la fin de vie du télescope qui a permis d'incroyables découvertes dont la liste est plus longue que le bras robotique de l'ISS.
Sa désorbitation a été plusieurs fois repoussée, mais il parait aujourd'hui peu probable qu'Hubble passe le cap de cette décennie.
La genèse :
En 1993, alors qu'Hubble envoie ses premières images, la NASA nomme déjà un comité chargé de définir les besoins futurs des astronomes. Alors qu'Hubble, équipé d'un miroir primaire de 2,40 m et d'une focale de 57 m, travaillait en lumière visible, il est décidé que son successeur travaillera dans le proche infrarouge avec un miroir de 8 m et une focale de 131 m. A cette époque, on imagine que la relève d'Hubble sera opérationnelle en 2005. Oui, en 2005. Oui nous sommes en 2021, soit 16 ans de retard.
Les premières ébauches du successeur d'Hubble sont ambitieuses. Trop ? Le design démarre sur un miroir primaire de 8 m avec une optique refroidie de manière passive grâce à un pare-soleil multi-couches. Une étude de faisabilité aboutit à un coût de 500 millions de $ en 1996.
Entre 1997 et 2001, le groupe de travail détermine les missions qui seront dévolues au NGST (Next Generation Space Telescope), ce qui va figer l'instrumentation nécessaire pour atteindre ces missions : une caméra à grand champ dans l'infrarouge proche, un spectrographe dans l'infrarouge proche multi-objets et un spectro-imageur fonctionnant dans l'infrarouge moyen. Fin 2000, on sait déjà que le projet dépasse de plusieurs centaines de millions de $ le budget prévu. De plus, le lancement a glissé de 2005 à 2008, compte tenu du développement du miroir, déjà imaginé en plusieurs segments. Pour réduire les coûts, la taille du miroir primaire est ramenée de 8 m à 6 m.
En 2002 la NASA sélectionne Lockheed Martin et le JPL pour développer le télescope, alors que la construction de la caméra proche infrarouge est confié à une université de l'Arrizona. Afin d'honorer l'administrateur de la NASA de l'époque des missions Apollo : James Webb, le projet prend désormais le nom de JWST (James Webb Space Telescope). Le lancement est encore espéré pour 2010.
La NASA choisit le lanceur Arianne V pour placer le JWST en orbite, en lieu et place d'une Atlas V initialement envisagée mais de capacité moindre.
La surface du miroir est à nouveau revue à la baisse, passant de 29 à 25 m², et le nombre de ses segments passe de 36 à 18 pour un diamètre de 6,5 m. Vous comprendrez en regardant l'infographie ci-contre comment le miroir peut à la fois voir sa surface diminuer mais son diamètre augmenter... ;-)
A la lumière d'une phase de spécifications détaillées qui durera de 2004 à 2008, les coûts commencent une inquiétante envolée : on parle désormais de 5 milliards de $, pour un budget de départ d'un demi milliard de $ et un lancement en 2014.
La construction :
La fabrication des nombreux composants, leurs tests et l'assemblage des composants entre eux s'étend sur une phase allant de 2004 à 2016. Question budget, cette fois on dérape complètement : en 2011 certaines agences ainsi que des représentants du congrès Américain envisagent l'arrêt pur et simple du programme, la dernière évaluation étant chiffrée à 8,8 milliards de $, et ce n'est pas fini. Le projet est trop engagé pour être stoppé mais la NASA est désormais sommée de fournir une évaluation mensuelle des coûts. En 2016 tout espoir d'un lancement pour 2018 est perdu.
En 2018, le budget est estimé à 9,66 milliards de $, le lancement est reporté à Mai 2020, puis à Mars 2021.
En Juin 2020, le directeur des programmes scientifiques de la NASA annonce qu'un launch en Mars 2021 ne sera pas tenable, la faute cette fois à la pandémie. Une nouvelle date est fixée au 31 Octobre 2021, la dernière officiellement connue à ce jour étant le 18 Décembre 2021.
Le miroir primaire est la pièce maitresse du JWST : avec ses 6,5 m de diamètre il ne rentre pas dans la coiffe d'une Ariane V. Le fait qu'il soit segmenté permet de le replier en 3 parties, le temps du lancement. Chaque segment est réalisé en béryllium, lui-même fixé à une structure rigide en carbone. Le rayon de courbure de chaque segment est calculée pour être parfait à la température de travail (-233° C), le rayon est donc différent lors de sa construction sur terre. Chaque segment peut être micro-orienté (optique adaptative) par le biais de 6 actionneurs, un septième pouvant ajuster le rayon de courbure.
On se souvient de l'erreur du rayon de courbure du miroir d'Hubble qui avait nécessité l'intervention de la navette spatiale pour corriger un regrettable défaut de conception. Le béryllium a été choisi pour ses propriétés de légèreté, rigidité et de faible coefficient de dilatation thermique. La couche de béryllium ne fait qu'un mm d'épaisseur, ce qui limite la masse totale du miroir à 625 kg, contre plus d'une tonne pour celui en verre d'Hubble pourtant presque 3 fois plus petit.
Chaque segment est recouvert d'une fine couche d'or de 100 nm (ce qui lui donne cette couleur) soit 48 g d'or pour l'ensemble du miroir. L'or présente la propriété de réfléchir de manière optimale l'infrarouge, invisible à nos yeux.
Le miroir secondaire, d'un diamètre de 74 cm, lui aussi recouvert d'or, concentre la lumière collectée par le primaire et la renvoie vers le tertiaire. Le secondaire a une liberté de mouvement de 6°, ajusté par le biais d'actionneurs.
La préparation au lancement :
La coiffe, l'étage principal et l'étage supérieur du lanceur sont arrivés en Guyane par bateau le 3 septembre 2021. Le JWST, lui, a subi ses derniers tests le 26 août. Il a été stocké dans les bâtiments de Northrop Grumman à Redondo Beach (Californie), dans l'attente de son embarquement pour Kourou, où il est arrivé à la fin du mois de septembre.
Notez qu'ArianeGroup a du revoir la coiffe de son lanceur, l'éjection de celle-ci ayant généré de fortes vibrations lors de tirs précédents, vibrations qui pourraient endommager le JWST, ce qui est évidement inenvisageable. Ariane a effectué un launch le 15 Octobre pour le compte d'un opérateur de télécommunications Luxembourgeois. Ce tir s'étant passé sans encombre, tous les voyants sont au vert pour le grand jour tant attendu du 18 Décembre 2021.
Le lancement :
Ça vous surprend si je vous dis que la date du 18 Décembre n'a pas tenu ? Du 18 on est passé au 21, puis un problème de communication électrique entre le lanceur et le télescope a nécessité un nouveau report au 24 Décembre.
La météo s'étant considérablement dégradé en Guyane, la dernière date à jour est celle du 25 Décembre 13H20.
Bref, à ce jour, le précieux chargement est dans la coiffe d'Ariane, il semble qu'il n'y ait plus aucun obstacle technique pour que l'on assiste enfin au lancement le 25 Décembre à 13H20 GMT+1.
A part un problème météo, le dernier risque possible est une collision avec le traineau du père Noël !
Retrouvez le dossier de presse ici et le live du launch à partir de 12H00 sur la chaine d'Ufotinik, comme d'habitude commenté en Français et dans la bonne humeur !
Les objectifs scientifiques :
La mission du JWST est répartie sur 4 axes principaux :
la recherche de la lumière des premières étoiles et galaxies qui sont apparues dans l'univers juste après le Big Bang,
l'étude de la formation de la galaxie et de son évolution,
la compréhension des mécanismes de formation des étoiles,
l'étude des systèmes planétaires et de la formation de la vie.
Le décalage vers le rouge (red-shift) et la faible température des cibles observées requièrent que le télescope opère plutôt dans l'infrarouge que dans le visible. Pour que les résultats soient de la meilleure qualité possible, l'ensemble optique et imagerie doit être maintenu à très basse température (autour de -233° C), température qui sera obtenue de façon passive grâce au pare-soleil multicouches.
Le JWST devra apporter des réponses aux questions suivantes :
Les galaxies se forment sur plusieurs milliards d'années et changent de forme en passant par divers processus, dont la fusion de galaxies. Le JWST devra démontrer que toutes les grandes galaxies sont passée par au moins une fusion majeure.
Les galaxies les plus éloignées (donc plus anciennes) sont très différentes des plus proches (donc plus récentes), le JWST devra expliquer le processus du passage d'un état à l'autre.
La formation des premières galaxies reste un mystère, ainsi que leur grande variété de formes.
Les étoiles naissent dans d'immenses nuages de gaz qui font obstacle à la lumière visible. L'observation en infrarouge va permettre de percer l'amas et d'imager la naissance des étoiles avec une finesse jusqu'alors inégalée.
Enfin et non des moindres, la décomposition du spectre infrarouge des raies d’absorption d'une exoplanète en transit devant son étoile permettra de déduire la composition moléculaire de l'atmosphère de l'exoplanète, ce qui est un élément clé pour évaluer la présence possible de vie !
Comment expliquer une telle accumulation de retards (16 ans) et envolée des coûts (d'un demi milliard à 10 milliards de $) ?
Si Hubble a pu bénéficier de plusieurs interventions humaines à son chevet (ce qui n'est plus possible aujourd'hui), il ne pourra en être de même pour le JWST. En effet, le vaisseau qui permettrait d'emmener des réparateurs de l'espace au point de Lagrange L2 n'existe tout simplement pas.
Pour le dire autrement, JW c'est du one shoot. Si le miroir ne se déploie pas, si le pare soleil se déchire, si quoi que ce soit arrive, à la première panne matérielle de quelque organe que ce soit, s'en est fini, le télescope à 10 milliards de $ est ... bon, je préfère ne pas y penser. C'est dire la pression qui repose sur les épaules d'ArianeGroup !
Michel Havez, 23 Décembre 2021.
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