Aujourd'hui on va s'aventurer dans le grand bain. Je vous préviens, ici personne n'a pied.
Ni vous, ni moi, ni même les plus éminents chercheurs.
Êtes-vous prêt à faire exploser votre cerveau ?
Pour progresser, la science se base sur des théories. Une théorie, c'est une façon d'expliquer un phénomène. Parfois, une vieille théorie admise par la communauté est remise en question par une nouvelle théorie (on est ainsi passé du géocentrisme à l'héliocentrisme). Les 2 vont s’affronter jusqu'à ce que l'une ou l'autre se renforce. Certaines théories sont aujourd'hui tellement consolidées par de multiples observations réalisées par plusieurs équipes de chercheurs concurrents qu'on les considère comme très solides, disons "indéboulonnables". (la terre est sphérique).
Mais, certaines théories ne sont que la meilleure explication possible à une époque donnée. Faute de mieux. On sait bien qu'elles présentent des faiblesses, mais personne n'a trouvé de meilleure explication à ce jour. Ce sont donc elles qui prévalent par défaut, jusqu'à ce qu'elles se fassent déboulonner à leur tour par d'autres nouvelles théories qui gommeront les faiblesses des anciennes. (La théorie de la gravitation de Newton > la relativité générale d'Einstein).
Un exemple de théorie contemporaine incomplète ?
Le big-bang.
Théorisée par Georges Lemaître en 1927, c'est une théorie qui présente l'avantage d'expliquer beaucoup de choses, choses qui se vérifient par l'observation, mais théorie qui n'est pas sans poser de sérieux problèmes.
Le big-bang part d'une idée simple : en observant l'univers tel qu'il est aujourd'hui, et fort des multiples connaissances accumulées qui permirent de comprendre son expansion au fil des millénaires, il "suffit" de se passer le film à l'envers pour remonter le temps. A un moment donné vers 14 milliards d'années en arrière, l'univers est tellement concentré qu'il est plus petit qu'un atome. Ça, c'est la version courte. Très courte.
Si à ce stade vous avez déjà le tournis, accrochez-vous, j'ai même pas encore commencé !
Quels sont les arguments en faveur du big-bang ?
A ce jour (2024), nous n'avons pas trouvé de meilleure théorie. Donc on la garde.
On peut voir les conséquences du big-bang en observant l'éloignement des galaxies.
Si l'on passe le film à l'envers, on peut calculer le temps et les trajectoires des galaxies pour constater qu'elles remontent toutes en un même point il y a 13,8 milliards d'années. Il n'a jamais été découvert d'objet (galaxie, nébuleuse...) plus âgée que l'âge supposé de l'univers. Inversement, si tous les objets semblaient ne pas dépasser quelques millions d'années, nous n'aurions pas de cohérence avec l'âge de l'univers.
On sait (pas moi hein 😂) calculer précisément la proportion des différents noyaux d'atomes (nucléosynthèse) au cours du temps qui s'écoule (voir la matière dans tous ses états). Et ces calculs sont, là aussi, en accord avec l'âge de l'univers.
Avec les plus puissants télescopes, en regardant "loin" on remonte le temps. Et à une échelle de temps compatible avec l'âge de l'univers on découvre une lueur primitive : le rayonnement fossile. (le fond diffus cosmologique).
Bref, beaucoup d'observations (bien plus que les 5 précitées) concordent à merveille pour dire que notre univers n'est pas statique, qu'il a une origine, que cette origine est datée, en grande partie expliquée, qu'il est en expansion et que cette expansion est en accélération. Cool, tout va pour le mieux ! 😃
Donc là on peut se dire que cette théorie est solide, c'est plié, qu'on peut passer à autre chose ? Malheureusement, non. 🙄
Quels sont les arguments en défaveur du big-bang ?
La matière a son pendant : l'antimatière : l'une et l'autre ne pensent qu'à s'autodétruire. Hors on observe pratiquement pas d'antimatière dans l'univers. Si les deux se trouvaient ensemble au moment du big-bang, il ne devrait plus y avoir ni matière, ni antimatière. Et nous ne serions pas là pour en parler.
Parenthèse : l'antimatière n'est pas une élucubration de films de science-fiction, elle est d'ailleurs utilisée en médecine (à échelle infinitésimale) en cancérologie.
2. La matière noire : dans notre système solaire, les planètes proches du soleil (mercure) tournent plus vite autour de leur étoile que les planètes lointaines (Neptune). C'est d'une logique implacable : si vous courez autour d'un objet proche vous en ferez le tour en quelques secondes. Mais si vous êtes à 10 km de cet objet, il vous faudra beaucoup plus de temps, même si vous courez plus vite. Mais en observant certaines galaxies, Vera Rubin observe que des étoiles proches de la périphérie tournent inexplicablement trop vite. Pire, elle observe que la vitesse de rotation reste constante au fur et à mesure de l'éloignement du cœur galactique. La seule explication possible est d'imaginer qu'une matière qui n'offre aucune interaction avec tous nos moyens de mesure est présente dans les galaxies. Et la proportion de cette matière, appelons là "noire", est importante : 26,8 % du total ! Trouvez la clé de ce mystère et je vous garantis un prix Nobel.
Parenthèse : la matière noire ne se manifeste pas à l'échelle de notre système solaire, ou alors beaucoup trop faiblement pour la détecter à cette échelle. Elle se manifeste à l'échelle d'une galaxie.
Retrouvez un article dédié à la matière noire ici.
3. L'énergie noire : si vous jetez des objets, ils vont finir par ralentir, puis s'arrêter. La matière éjectée par le big-bang originel devrait faire de même : ralentir, puis s'arrêter. Hors, Edwin Hubble mesure en 1929 que, non seulement l'univers est encore en expansion après 13,8 milliards d'années, mais contre toute attente, que cette expansion est en constante accélération ! C'est la constante de Hubble. Cette accélération est telle que les galaxies les plus lointaines s'éloignent les unes des autres plus vite que la vitesse de la lumière ! Alors que la gravité, que l'on peut réduire à une force de "freinage" aurait du faire ralentir l'expansion de l'univers.
Hein, quoi ? mais c'est impossible ça, rien ne peut dépasser la vitesse de la lumière !
Exact, il y a une subtilité : les galaxies sont en fait presque immobiles, c'est l'espace entre les galaxies qui se dilate, éloignant les galaxies les unes des autres.
Pour ceux qui sont perdus, imaginez un gâteau aux raisins dans le four. En chauffant la pâte va gonfler, les raisins vont s'éloigner les uns des autres, sans bouger.
L'énergie noire, c'est 68,3 % de l'univers ! Trouvez la clé de ce mystère et je vous garantis un prix Nobel.
Parenthèse : l'énergie noire se manifeste à l'échelle de l'univers, elle n'est pas mesurable à l'échelle des galaxies.
Retrouvez un article dédié à l'énergie noire ici.
4. La définition du big-bang lui même : Se dire que la totalité de la matière de l'univers était concentrée en un point plus petit qu'un atome n'a aucun sens. Se demander ce qu'il y avait avant le big-bang n'a aucun sens. On est pourtant au cœur de la question ! Pourquoi ça n'a pas de sens ? Parce que le temps démarre à l'instant zéro du big-bang. L'instant d'avant, le temps n'existait pas.
Pourquoi on arrive pas à théoriser les premiers instants de l'univers ?
Parce que l'on est incapable de faire fonctionner ensemble la relativité générale et la physique quantique. La première fonctionne à merveille pour décrire la matière à l'échelle macroscopique, la seconde fonctionne à merveille pour comprendre les phénomènes à l'échelle subatomique.
Mais l'une est fondamentalement incompatible avec l'autre. C'est comme si il y avait une formule pour comprendre un monde, et une autre complètement incompatible avec la premières pour comprendre un autre monde.
Je vois que vous êtes chaud, 😂 c'est le moment de rappeler brièvement les étapes du big-bang.
Sur cette infographie, comme on remonte le temps, on progresse de droite à gauche.
L'univers tel qu'on l'observe aujourd'hui nous semble infini. Il est très peu dense et froid. La matière connue forme des galaxies, des nébuleuses, des nuages de gaz, des étoiles, des planètes, vous et moi.
Il y a 13.8 milliards d'années, c'était pareil (sans vous ni moi 😂) mais beaucoup plus dense (concentré) et chaud.
380.000 ans après le big-bang l'univers est mille fois plus chaud et 1 milliard de fois plus dense qu'aujourd'hui. Les étoiles et galaxies n'existent pas encore. Les noyaux atomiques se combinent aux électrons pour donner naissance aux atomes, (lire la matière dans tous ses états) faisant apparaître les premiers photons, donc la première lumière. C'est cette lumière primitive que l'on arrive à observer aujourd'hui sous le nom de fond diffus cosmologique, et c'est un des arguments qui a pesé lourd dans l'acceptation de la théorie du big-bang. Les premiers atomes créés sont ceux d'hydrogène et d'hélium. C'est ce qu'on appelle la nucléosynthèse primordiale. C'est le deuxième argument qui a achevé de faire accepter la la théorie du big-bang.
En remontant au-delà de 380.000 ans, tout s'accélère : 3 mn après le big-bang la température est d'environ 1 milliard de degrés, l'univers n'est alors qu'un mélange de protons, de neutrons et d'électrons incapables de se combiner, il n'y a donc pas encore d'atomes.
On arrive encore à modéliser les évènements entre 0.01 seconde et 10 puissance moins 32 secondes mais cette étape dépasse de loin mes compétences et le cadre de cet article. Retenez juste que la température grimpe à 10 milliards de degrés, qu'une force jusqu'alors unique se divise en force électromagnétique, force nucléaire forte, force nucléaire faible et gravitation. Ces 4 forces sont les piliers de la cosmologie moderne. C'est également ici que prendrait naissance la matière noire.
A partir de 10 puissance - 43 seconde après le big-bang, on pénètre dans l'ère de Planck. Il s'agit d'un mur, une frontière impénétrable, qui nécessiterait une réconciliation entre la relativité générale et la physique quantique. C'est l'instant à partir duquel les modèles mathématiques théoriques deviennent absurdes (totalité de la masse de l'univers contenue dans un volume plus petit qu'un atome, toutes les valeurs : densité, température, tendent vers l'infini)...
Pour espérer une évolution de nos connaissances, plusieurs nouvelles théories sont en concurrence : la gravité quantique (le graviton), la théorie des cordes (et ses dérivées), le multivers...
Mine de rien, on vient d'aborder les 3 plus gros problèmes de la cosmologie moderne : la matière noire, l'énergie noire et l'incompatibilité entre la relativité générale et la physique quantique ! Pas si mal !
Michel HAVEZ, Août 2024.
Commentaires