Nauka / ISS :
On en a parlé il y a quelques jours, le module Nauka a quitté Baïkonour, propulsé par un lanceur Proton-M le 21 Juillet, pour atteindre sa destination : l'ISS, le 29 ou le 30 Juillet.
Dis comme ça, ça a l'air simple; mais en fait, on peut littéralement parler d'une odyssée. Jugez plutôt :
La genèse de Nauka remonte dès les débuts de l'ISS, en 1993 ! A l'époque, Nauka devait être la principale "brique" de l'ISS. Mais c'est un autre module Russe : Zarya, qui sera prêt avant Nauka et décollera en 1998.
Alors que l'assemblage de la partie russe de l'ISS arrivait à son terme, le manque de capacité pour des expériences scientifiques se fit sentir. En effet, Zarya sert essentiellement à du stockage de longue durée. Zvezda est le «cœur» de l'ISS et sert de module de pilotage, d'observation, d'amarrage. Et les modules plus petits que sont Pirs, Poisk et Rassviet ne sont pas adaptés pour agir, comme les grands segments américain (Destiny), européen (Columbus) et japonais (Kibo), en véritables laboratoires volants. La décision est donc prise au début des années 2000, de disposer d'un module scientifique : le MLM Nauka («science», en russe). Voilà qui tombe bien pour Krounitchev (constructeur de fusées), qui dispose dans ses hangars d'une «copie» de Zarya ! Il suffira donc de l'adapter… Simple ?
Malheureusement, non. Pour commencer, le stockage du module n'était pas une mise sous cocon, comme c'est la règle pour les projets spatiaux. Le gros compartiment (13 m de long, 4,5 m de diamètre) n'est pas protégé, et certaines de ses pièces ont été ferraillées par erreur. Le résultat est catastrophique : les réservoirs externes qui sont des composants sur mesure réalisés par des entreprises qui évidemment n'existent plus, sont endommagés… Lors de tests dans la deuxième moitié des années 2000, de la limaille de fer est découverte dans une partie de la tuyauterie...
Le décollage de Nauka, initialement envisagé en 2003 et plus ou moins sérieusement prévu en 2007, est repoussé à 2013. Puis on découvre des soucis d'étanchéité nécessitant de changer des joints (périmés), imposant une nouvelle inspection de la plomberie… On arrive en 2016-17. Cette fois, il est décidé de commander de nouveaux réservoirs. Puis en 2018, décision inverse : la réparation des anciens sera finalement suffisante.
Ces deux dernières années, ceux qui suivent le dossier de Nauka depuis longtemps s'attendent à de nouveaux reports. Il y en aura bien quelques-uns bien sûr, mais après une nouvelle préparation, le module arrive enfin à Baïkonour le 19 août 2020 pour recevoir ses équipements intérieurs, subir ses derniers préparatifs et une dernière batterie de tests, notamment en chambre à vide. Et cette fois, tout fonctionne ! Le MLM Nauka est équipé pour un décollage prévu le 21 juillet 2021.
Il faut noter que l'agence spatiale européenne est très concernée par cette dernière phase de préparatifs, car Nauka embarque sur son flanc un matériel inédit : le bras robotisé ERA (European Robotic Arm), le premier du genre conçu en Europe. Long de 11,3 mètres, c'est une démonstration technologique très intéressante… qui prend la poussière depuis 20 ans au sol dans l'attente de son décollage depuis la Russie. Heureusement, le programme devrait enfin porter ses fruits !
Le lanceur Proton-M effectuait son premier décollage depuis juillet 2020 à l'occasion de ce lancement : face à la concurrence américaine il est en perte de vitesse avant sa retraite prévue en 2025… Mais les équipes qui ont préparé la campagne de tir n'ont pas démérité ! Le décollage a eu lieu depuis Baïkonour à 16H58 GMT+2 et la fusée a utilisé ses trois étages en 9 minutes et 40 secondes pour envoyer Nauka en orbite basse. Avec ses 20 tonnes sur la balance, c'est le maximum que pouvait transporter Proton ! Le décollage s'est déroulé sans anicroche.
Avant d'être un module de l'ISS, Nauka est aussi un véhicule indépendant. Il volera donc seul durant 8 jours pour se rapprocher de l'ISS, avant de venir s'y amarrer automatiquement et de devenir un ajout permanent. Son arrivée fait l'objet d'un ballet entre anciens et nouveaux modules du segment russe : durant l'approche de Nauka, le petit module-sas Pirs sera évacué (à l'aide d'un cargo Progress) avant d'aller se désintégrer dans l'atmosphère. Le live ici. (Report possible de 24H !).
Le 22 Juillet, des rumeurs font état que Nauka a des difficultés à suivre sa trajectoire. Roscosmos se mure dans un silence inquiétant. Les moteurs principaux de Nauka finissent par redémarrer, 2 manœuvres de correction sont effectuées. Cela veut dire que Roscosmos a pu rétablir la pression de leurs réservoirs et ainsi éviter une dérive trop importante du module. On croise les doigts pour la suite.
Une fois amarré, le module MLM Nauka apportera un espace significatif en plus à la partie russe de la station. Près de 70 mètres cubes, une nouvelle cabine pour un cosmonaute en mission longue, de nouvelles toilettes, un système de régénération d'air et d'eau… C'est un véritable espace de vie qui est ajouté. Mais c'est aussi et avant tout un module équipé comme un laboratoire, avec de la place pour des expériences, du rangement… Et des espaces à l'extérieur.
Nauka n'est équipé «que» de deux ports d'amarrages, un à l'avant (qui restera en permanence attaché à Zvezda) et un à l'arrière, qui pourra dès la fin de l'été accueillir les véhicules arrivant sur l'ISS grâce au système automatisé Kours, mais aussi servir de sas avec un petit aménagement. Il faudra encore plusieurs sorties EVA russes sur les flancs du module pour qu'il soit pleinement opérationnel.
La Russie espère envoyer dès l'automne prochain un petit module complémentaire nommé Pritchal, qui sera attaché à Nauka et fournira un nouveau «nœud» avec 4 ports d'amarrage disponibles.
Michel Havez, 24 Juillet 2021.
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