Produire de l'électricité pour presque 8 milliards d'êtres humains sur la planète n'est pas une chose facile. Chaque pays a sa recette, recette plus ou moins propre selon la richesse du pays. Quelles sont-elles ces recettes ? Hydraulique, lignite ou houille et gaz pour les anciennes, nucléaire (fission et peut-être dans quelques décennies fusion), solaire, éolien et biomasse pour les nouvelles.
De nos jours, les réseaux de distribution d'électricité sont interconnectés, par exemple la France peut vendre du courant à l'Italie le matin et en acheter à l'Allemagne l'après-midi. Au niveau Européen, ces échanges sont constants et transparents. Cette technique permet de lisser la production au plus près de la consommation, car l'électricité a une caractéristique rare : tout courant produit et non consommé est perdu. Pour ne pas le perdre, il faudrait le stocker, mais le stockage à grande échelle est un problème qui n'a pas encore été résolu. Tout l'art consiste donc à produire un pouillème plus que le besoin à l'instant T, avec une marge de manœuvre pour monter rapidement en puissance en cas de défaillance ou de baisse de production des sources intermittentes. Dans ce schéma, le mix énergétique (les recettes de tout à l'heure) donne la priorité aux énergies renouvelables, pour finir vers les plus polluantes. C'est évidemment l'électricité solaire ou éolienne qui sera distribuée en premier, les centrales nucléaires étant une variable d'ajustement, et c'est seulement en cas de pic de demande que les vieilles centrales à charbon (seulement 4 en France) seront réactivées.
Sur notre terre, la production solaire est dite intermittente, car il fait nuit la moitié du temps de l'année et les aléas de la météo font encore baisser le rendement annuel. De plus, l'atmosphère absorbe 30% du rayonnement solaire. Pourtant, le soleil brille de façon régulière 365 jours par an.
Pour s'affranchir de toutes ces contraintes, une idée serrait de placer une noria de satellites en orbite terrestre, satellites équipés d'immenses panneaux solaires. L'énergie ainsi captée serait "envoyée" sur la terre.
Si l'idée a tout d'abord germé dans le cerveau d'auteurs de science-fiction dans les années 40 puis 70, elle parait aujourd'hui de plus en plus réalisable d'ici quelques décennies. Pour beaucoup d'experts, l'électricité solaire spatiale (ou SBSP, Space-Based Solar Power) est une voie d'avenir.
Dans ce secteur, les plus ambitieux sont les Chinois, qui désirent faire de l'électricité solaire spatiale la clé de voute de l'avenir de leur plan énergétique. Dans une publication de l'académie Chinoise des technologies spatiales, elle décrit comment la SBSP va permettre à la Chine d’assurer un développement énergétique durable et de s’affranchir des risques inhérents aux catastrophes naturelles (comme les violentes tempêtes de neige de 2008 qui avaient littéralement gelé une partie des installations électriques du sud du pays). Le document n’hésite d’ailleurs pas à évoquer un plan d’une ampleur comparable au programme Apollo, synonyme du leadership technologique américain tout au long de la guerre froide.
Vous avez des doutes sur les ambitions chinoises ? Wang Xiji, l’un des principaux architectes de la toute première fusée chinoise (Long March 1), explique toute la hauteur de l’enjeu : «Le monde paniquera lorsque les combustibles fossiles ne pourront plus soutenir le développement humain. Nous devons maîtriser la technologie d'énergie solaire spatiale avant que cela ne se produise… Quiconque sera le premier à détenir cette technologie sera susceptible de s’accaparer le futur marché de l'énergie mondiale. C’est donc d’une importance stratégique capitale».
Du côté Américain, le département de l'énergie détaille les enjeux et les moyens à mettre en œuvre. Le transport de l'énergie des satellites vers le sol pourrait se faire soit au moyen de micro-ondes, soit de laser. Des satellites géostationnaires (35.000 km d'altitude) diffuseraient des flux d'ondes vers des antennes massives au sol (plusieurs km de diamètre). De nombreuses technologies existent déjà pour rendre ce projet viable même si l'exploitation d'un tel système reste à un horizon lointain.
L'US Navy est également très intéressée, pour des raisons militaires évidemment, et décrit une vingtaine de concepts imaginés ou déjà testés un peu partout dans le monde depuis plusieurs décennies. L'US Navy confirme que le sujet n'est plus du tout du registre de la science-fiction, concluant sur le fait qu'il est temps pour le ministère de la Défense de mener des investissements sur le sujet, précisant six domaines à investiguer, à commencer par la collecte d’énergie depuis l’espace et les technologies de transmission et de réception d’énergie à distance.
On assiste donc bel et bien vers une course internationale à l'électricité solaire spatiale et les choses se mettent en place :
Conformément à son programme, la chine a commencé la construction de sa première centrale d'énergie solaire spatiale sur 13 hectares dans le Sud du pays. Les USA ont déjà lancé un satellite qui collecte de l'énergie solaire pour l'envoyer au sol. Pour l'instant ce n'est qu'une expérience à petite échelle.
Jusque là, on a parlé des programmes nationaux, mais il ne faut pas oublier les initiatives privées. Solaren en Californie, une start-up créée par d'anciens hauts responsables de l'industrie spatiale, n'a d'autre ambition que de développer, créer, exploiter et commercialiser de l'électricité solaire spatiale propre.
En 2020, des projets plus ou moins avancés en matière d’électricité solaire spatiale sont menés par toutes les grandes puissances, y compris Japon, Russie et Inde : Le conseil Européen pour la recherche attribue une bourse de 2,5 millions d'€ à un labo de Glasgow. L'ESA lance un appel à projets pour définir une stratégie : parmi les 85 idées soumises, 16 ont été retenues comme nouvelles dont 4 qui feront l'objet d'un co-financement de recherche.
Si tout porte à croire que l’énergie solaire spatiale pourrait devenir réalité dans les décennies à venir, le concept a bien sûr son lot de détracteurs et autres septiques. S'il est encore difficile à évaluer, le coût du kW/h pourrait se révéler exagérément élevé comparé à l'électricité produite par le mix énergétique actuel. L'autre argument concerne les interrogations sur les effets (santé, faune, flore) de ces flux d'énergie qui transiteraient entre l'espace et la terre. Qu’il s’agisse d’antennes spatiales ou de puissants laser, le principe a de quoi affoler les inquiets de la prolifération des ondes dans l’espace public, et même alimenter les théories du complot. C’est d’ailleurs déjà le cas : en janvier dernier, un billet très partagé sur Facebook avait accusé Solaren d’avoir directement provoqué, « via les lasers de ses satellites solaires », les dramatiques incendies de Californie de 2018. Une information facilement démentie par l’entreprise, et pour cause, elle n’a encore jamais lancé le moindre satellite...
Pour autant, les avantages potentiels de l'électricité spatiale sont bien réels ! Sur l'Europe en hiver, seuls 3% des rayons solaires parviennent à la surface, tandis que les satellites pourraient récolter 99% de l'énergie 100% du temps ! Les experts estiment que la SBSP pourrait générer 40 fois plus d'énergie que l'énergie solaire terrestre !
Un dernier argument de poids consiste à contourner le problème du stockage d'électricité : les satellites pourraient envoyer leur flux d'énergie non pas à une seule antenne, mais à plusieurs (une seule à la fois bien sûr). Pour répondre à la demande, vous pouvez envoyer votre flux sur Madrid, puis en quelques secondes l'envoyer à Londres ou à Stockholm !
Au final, il paraît difficile de ne pas voir dans l’énergie solaire spatiale une solution très prometteuse pour l’avenir (et peut-être même la solution pour une énergie propre et abondante). A tout le moins l’idée devrait conduire à élargir le débat sur l’énergie solaire, qui ne devrait plus se limiter à la question de l’installation de panneaux photovoltaïques sur les toits ou dans les champs.
Michel Havez, 24 Août 2021.
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